Cloud computing : pas si vert que ça…
Selon l’étude Cloud Computing: The IT Solution for the 21st Century menée par Verdantix pour le Carbon Disclosure Project (CDP), les grandes entreprises américaines (plus de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires) pourraient réduire leurs consommation d’énergie d’environ 200 millions de barils de pétrole par an en 2020 (soit l’équivalent de 5,7 millions de voitures roulant pendant un an) en adoptant le modèle informatique du cloud computing.
Le cloud computing ou informatique dans le nuage consiste à abandonner ses serveurs internes au profit de serveurs hébergés chez un prestataire. Plutôt que d’utiliser une machine physique, le prestataire déploie une machine virtuelle à laquelle l’entreprise accède via une interface de programmation (API). En théorie, cette mutualisation permet d’optimiser le taux d’occupation des serveurs physiques du nuage par rapport à ceux de l’entreprise. Le rapport indique 65 % de taux d’occupation pour du cloud public contre 15 % pour un serveur physique en interne.
Selon le CDP, cette meilleure efficience énergétique se traduirait, à l’échelle des grandes entreprises américaines, par une économie annuelle globale de 12,3 milliards de dollars et d’environ 85 millions de tonnes d’équivalent CO2. De quoi donner envie de migrer vers le cloud computing. Sauf que…
Ce rapport n’est ni sérieux, ni objectif. D’une part, il est sponsorisé par AT&T qui entend devenir un acteur mondial dans le domaine du cloud computing. On imagine mal AT&T publier un rapport qui indiquerait que le cloud computing nuit gravement à l’environnement…
D’autre part, les analystes ne prennent pas en compte un effet de bord / rebond du cloud computing. D’une part, la plupart des entreprises exigent un niveau de disponibilité (SLA) des serveurs dans le nuage supérieur à celui qu’elles acceptent en interne. Or, généralement, plus le niveau de disponibilité est élevé, et plus le data center comprend des éléments redondés : refroidissement, circuit de distribution électrique, onduleurs, etc. Cette redondance coûte en énergie.
Dans un autre registre, les analystes utilisent un facteur d’émission moyen (0,690 kg CO2-eq / kWh) pour l’ensemble des grandes entreprises américaines. En d’autres termes, les scénarios étudiés ne prennent pas en compte la source primaire d’énergie utilisée pour produire l’électricité (éolien, charbon, pétrole, nucléaire, hydro, etc.). Or, de plus en plus de grands groupes achètent de l’électricité en partie issue de sources renouvelables pour leur data centers internes qui n’émettent alors qu’une quantité négligeable de CO2. Même s’il est énergétiquement plus efficient, un nuage informatique alimenté par de l’électricité à partir d’une centrale à charbon émet bien plus de CO2 qu’un data center interne moins efficient mais alimenté avec de l’électricité issue de sources primaires renouvelables.
Mais le plus choquant est que ce rapport ne prend pas en compte le cycle de vie du data center. Il se focalise uniquement sur l’efficience énergétique lors de la phase d’utilisation et oublie complètement les émissions liées à la fabrication du bâtiment, des serveurs, etc. Exit le scope 3 ! c’est étonnant pour deux raisons. D’une part, ce rapport est soutenu par le Carbon Disclosure Project dont l’objectif est justement de pousser les grandes entreprises à affiner leurs évaluations d’émissions de gaz à effet de serre, notamment en prenant en compte le scope 3. D’autre part, le cloud computing repose presque exclusivement sur de nouveaux data centers géants de plusieurs milliers de m2. La construction de ces bâtiments émet forcément beaucoup de CO2. Le point de vue de ce rapport est donc extrêmement partial puisqu’il masque volontairement un pan entier des émissions.
Enfin, pour réduire au maximum leur consommation électrique, les opérateurs de nuages informatiques renouvellent souvent les serveurs (tous les 2 à 3 ans). Dans de nombreux pays, notamment aux Etats-Unis, le coût d’achat des serveurs est en effet inférieur à quelques années de consommation électrique. Or, comme le rappellent Doug Washburn et Lauren Nelson, deux analystes de Forrester, dans leur rapport Cloud Computing Helps Accelerate Green IT, le Green IT ne se limite pas à la consommation électrique. Pour être plus respectueux de l’environnement, le modèle du cloud computing doit aussi minimiser les déchets informatiques générés.
Bref, on se demande comment le Carbon Disclosure Project peut soutenir un rapport qui élude des questions aussi essentielles et qui frise le greenwashing.
Si vous avez des arguments objectifs en faveur l’éco-responsabilité du cloud computing, n’hésitez pas à partager ces informations en commentaire. Nous ne demandons qu’à changer d’avis !
Source : https://www.cdproject.net/en-US/WhatWeDo/Pages/Cloud-Computing.aspx