Tribune : Viva les 2 Alfred !
Ces jours-ci l’actualité nous offre deux contrastes intéressants : d’un côté les acclamations qui accompagnent la communication et la publicité de la technologie (technology, à vrai dire), à l’occasion de la cinquième édition du salon VivaTechnology et, de l’autre, deux films (Les 2 Alfred et Effacer l’historique) qui mettent en perspective les abus, voire les non sens de cette même technologie. D’un côté le business, de l’autre le vécu. Et si, pour la prochaine édition de ce salon, l’articulation entre ces deux positions réussissait à renouveler le discours et à mieux évaluer s’il existe vraiment une culture digitale à la française ?
Au delà de la langue
Vivatechnology se veut une vitrine de la french tech mais pour cela elle emprunte les habits de Shakespeare plutôt que ceux de Molière. Pour se sentir performants et à la pointe des transformations numériques, sans doute faut -il s’identifier à ceux que l’on estime comme nous ayant déjà devancé. Vivatechnology voit le monde en termes de scale-up, de fast-tracking, de smart, de 4Good, de fireside conversation et met en avant l’international et le standard, la performance, la surabondance, le durable qu’il faut sans cesse modifier, l’accélération ou la croissance. On en déduit que si la technologie a évolué, elle reste au service de la pensée du siècle dernier. Les outils ont changé, la vision du monde qu’ils portent fait du sur place.
Les 2 Alfred et Effacer l’historique, en français, nous décrivent la vraie vie d’ici, où la très large majorité de la population trouve encore la liberté d’exprimer ses doutes, son désarroi face à des outils dont l’utilisation s’avère si loin du discours qui accompagne leur conception et leurs promesses ou arguments de vente. Dans les vies qui nous sont racontés à l’écran, nous saisissons les paradoxes entre la convivialité in silico à laquelle il est de bon ton de croire (comme le suggèrent les fireside conversations) et la convivialité in vivo, celle que nous retrouvons à côté de chez nous, là où nous pouvons parler – avec notre vraie voix- de nos faiblesses et retrouver des forces.
Du « Time to reconnect » au temps de la désadhérence pour se connecter autrement
Après quelques mois de doute pandémique sur le monde d’après, nous sommes rassurés de voir qu’il ressemble encore beaucoup à celui d’avant et que la technologie est là pour nous faciliter ce retour : la technologie comme seul socle pour le progrès, l’intelligence artificielle qui reste toujours artificielle et qui se perfectionne pour ressembler de plus en plus au naturel, la rapidité des transactions, la sécurité qui s’éloigne au même rythme que les outils se développent, les stratégies dont le seul but est la croissance…
Omnisciente, omniprésente, omnicanalisée, omnicanalisante, la tech nous offre le challenge de poser nos limites, de trouver des chemins de traverse, d’effacer les historiques pour mieux revenir à notre vie, à notre capacité de changement à notre mesure, à notre humour, à notre raison. Et si l’excès de tech nous conduisait à résister pour exister ?
Technologie choisie, technologie subie
Les objets techniques sont des inventions qui peuvent contribuer au progrès mais ils peuvent provoquer l’effet inverse quand leur usage n’est plus choisi mais subi. Quand nous ne pouvons plus faire autrement, quand le choix nous es interdit, quand nous comprenons de moins en moins le fonctionnement des environnements dans lesquels nous nous trouvons. Quand les écrans deviennent le moyen privilégié pour voir le monde.
Pourrions-nous imaginer une édition 2022 de Viva Tech où la mise en scène permettrait aux conférenciers, aux exposants et au public de se voir aussi avec les yeux des 2 Alfred ? Est-il possible d’envisager un design plus sobre de l’événement, avec moins de conférences – mais un peu plus longues et engageantes et moins de stands, afin de pouvoir s’y arrêter sans être perturbé par une captation permanente de l’attention ? Ce salon est une belle opportunité pour créer un autre environnement pour la tech : plus réel, plus modeste, plus vrai. Inspirons- nous du grand écran et de nos vies, telles qu’elles sont.
Angela Minzoni