L’écolabel EPEAT est-il à la dérive ?
L’écolabel EPEAT (Electronic Product Environmental Assessment Tool) est-il entrain de partir à la dérive ? C’est la question que se pose Motherboard dans un long article sur le sujet.
Une question légitime puisque le Galaxy 8 de Samsung vient d’obtenir le plus haut niveau de l’écolabel américain EPEAT.
GreenIT.fr avait déjà révélé ce paradoxe à deux reprises :
- en 2009 pour des portables Dell et Apple labellisés EPEAT avec des batteries soudées ;
- en 2012, lors de l’obtention du label par le Macbook Pro Retina en 2012. A l’époque iFixit le considérait comme irréparable.
Batterie collée et smartphone indémontable
Si la plupart des composants du Galaxy S8 sont modulaires et peuvent théoriquement être remplacés indépendamment, iFixit lui attribue un score de réparabilité de 4 sur 10.
D’une part, il est impossible de remplacer soit même la batterie de son smartphone. La batterie est fixée avec un adhésif très adhérent et le panneau arrière est collé, ce qui rend l’opération quasiment impossible pour le commun des mortels. Pour rappel, la directive européenne 2006/66/EC dite « batterie » impose théoriquement aux fabricants de commercialiser en Europe des équipements dont la batterie est amovible.
D’autre part,
« une vitre avant et une vitre arrière doublent le risque de fissures et les adhésifs à forte adhérence sur chacune rendent plus difficile d’atteindre les pièces internes pour une réparation. A cause de l’écran incurvé, il est extrêmement difficile de remplacer uniquement la vitre avant sans casser l’écran »
détaille iFixit sur son site.
EPEAT est-il devenu un outil de greenwashing ?
Comment, dans ces conditions, le Galaxy S8 a-t-il pu obtenir la plus haute distinction auprès du Green Electronic Council ?
Selon Mark Schaffer, qui a géré le programme environnemental de Dell pendant des années et est maintenant consultant indépendant, les grands fabricants dont Apple et Samsung
« se sont constamment opposés à l’ajout de critères plus exigeants en terme de réparabilité et de réemploi »
dans le cahier des charges des écolabels.
Selon un rapport qu’il a récemment publié avec repair.org, EPEAT est ainsi devenu
« une façon compliqué de faire du greenwashing sur des produits à l’empreinte environnementale catastrophique ».
La pression des fabricants au sein des organismes de labelisation et de standardisation
Comme l’explique admirablement l’article de Motherboard, les fabricants utilisent les organismes de standardisation pour écrire le cahier des charges qui leur convient. L’organisme qui gère l’écolabel (Green Electronic Council dans le cas présent) peut ainsi rejeter la faute sur l’organisme de standardisation (IEEE dans le cas présent) qui se cache lui-même derrière un processus à priori ouvert et équitable.
Malgré le fait que les fabricants ne peuvent théoriquement pas disposer de plus de 50 % des voix, « toute l’astuce consiste à leur en donner plus en les faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas » dénonce en substance Barbara Kyle, fondatrice de la Electronics Takeback Coalition. Les ONG et autres représentants de la société civile se retrouvent alors noyés, sans aucune capacité à infléchir la moindre décision.
Vers de nouveaux écolabels en trompe l’œil ?
Sur la forme, la prochaine version du cahier des charges d’EPEAT pour les smartphones semble renforcer le poids des critères associés à la réparation et au réemploi. Pour obtenir le niveau Bronze, les fabricants doivent par exemple répondre à uniquement un de ces critères (pas les trois en même temps) :
- mettre en ligne un guide de réparation ;
- fournir un guide de réparation à leur réparateur agréé ;
- proposer un centre de réparation sous leur propre enseigne.
Comme le fait remarquer Motherboard, il suffit que Samsung propose une seule boutique / centre de réparation pour l’ensemble des Etats-Unis pour répondre aux exigences de l’écolabel. On comprend aisément que cela ne sera pas suffisant pour couvrir la demande de réparation, surtout si la batterie est collée et le smartphone très difficile à démonter…
Il est plus que temps que la société civile s’investisse largement dans les organismes de standardisation (en France autant qu’aux Etats-Unis) pour contrer rapidement cette dérive.
Sources : Motherboard, iFixit, et GreenIT.fr