Catégorie : Energie

L’électricité n’est pas un indicateur environnemental

Cet article a été écrit avec la contribution de Julie Orgelet, experte en analyse du cycle de vie chez DDemain.

En ce début de 21ième siècle, l’humanité doit faire face à des crises environnementales majeures telles que le dérèglement des climats, l’écroulement de la biodiversité, l’épuisement des ressources abiotiques, etc.

Pour trouver des solutions concrètes et efficaces, il faut étudier la situation avec des indicateurs pertinents, c’est-à-dire qui témoignent effectivement d’impacts environnementaux. Or, depuis des années, l’électricité et l’énergie se sont imposées, dans certaines « études » et dans un grand nombre d’articles, comme des indicateurs de référence pour témoigner des impacts environnementaux du numérique.

Le problème, c’est que l’électricité n’est pas, et ne sera jamais, un indicateur environnemental. Explications

Energie ou électricité ?

Le premier écueil d’un grand nombre d’études et d’articles est sémantique.

Les auteur.e.s utilisent sans distinction les termes « énergie » et « électricité » pour désigner l’électricité. Or, l’électricité est une forme spécifique d’énergie.

Elle est dite « finale » lorsqu’elle est utilisée pour alimenter des appareils électroniques. « Finale » car elle est produite à partir d’une énergie dite « primaire » : 1 kg de charbon, 1 litre de pétrole, 1 heure d’ensoleillement, etc. L’électricité est une forme particulière d’énergie finale qui peut prendre d’autres formes : chaleur, mouvement, etc.

En utilisant le terme «énergie » à la place d’électricité, et sans préciser « finale » ou « primaire », il est impossible de savoir de quoi on parle.  Il faut donc absolument distinguer, systématiquement, énergie primaire, énergie finale et électricité pour donner un sens aux chiffres présentés.

Quelle électricité ?

Une consommation électrique ou une quantité d’électricité s’exprime en « kWh par unité de temps » ou de service (et non en Watts comme on le lit trop souvent). Votre facture électrique est par exemple exprimée en « kWh par an ».

Cette quantité n’est pas un indicateur environnemental. En effet, selon l’énergie primaire utilisée pour produire l’électricité et selon la méthode utilisée pour transformer l’énergie primaire en électrons, les impacts environnementaux seront très différents.

La combustion d’énergie primaire fossile (gaz naturel, charbon, pétrole, etc.) se traduit surtout par des émissions de gaz à effet de serre (dont le CO2, mais pas que) qui renforcent le réchauffement global induisant lui-même un dérèglement des climats locaux. Ce dérèglement impacte négativement la biodiversité.

Une réaction nucléaire se traduit surtout par une grande quantité de vapeur d’eau produite lors du refroidissement du réacteur. On considère de l’ordre de 4 litres d’eau bleue perdue par kWh électrique en France. En France, la fabrication de l’électricité se traduit donc surtout par une tension sur la ressource « eau bleue »… et toutes les conséquences désastreuses des accidents nucléaires.

La production d’électricité via un barrage installé sur un fleuve – on parle d’« hydraulique courant » – utilise la force motrice du fleuve (une énergie par essence renouvelable) et seule la construction du barrage impacte l’environnement, notamment en perturbant les écosystèmes locaux. En revanche, la transformation du courant hydraulique en électricité n’a pas (ou très peu) d’impact.

Pour ces raisons, une quantité d’électricité ne sera jamais un indicateur environnemental.

Des indicateurs normalisés

Les analyses du cycle de vie (ACV), et les autres méthodes normalisées de quantification, utilisent la plupart du temps des indicateurs midpoint (orienté problème) pour témoigner d’impacts environnementaux. Ces derniers sont calculés sur la base de méthodes de caractérisations documentées qui permettent la conversion de flux élémentaires en impacts environnementaux.

C’est le cas par exemple de :

  • Potentiel de réchauffement climatique exprimé en « kg équivalent CO2 » calculé généralement sur la base des facteurs de caractérisation proposé par le GIEC (IPCC en anglais) ;
  • Epuisement des ressources naturelles abiotiques exprimés en « kg équivalent SB (antimoine) » généralement calculé sur la base de la méthode CML/ReCiPepubliée par l’institut de Sciences de l’Environnement de l’université Leiden, au Pays bas ;
  • Consommation d’eau exprimée en « litres d’eau » pour la tension sur cette ressource ;

Ces indicateurs sont généralement complétés par des indicateurs dit “de flux” comme :

  • La consommation d’énergie primaire exprimée en « MJ (megajoules) d’énergie primaire » (en distinguant souvent énergie renouvelable et non renouvelable.

A terme, les praticiens ACV souhaite intégrer de manière plus systématiques des indicateurs tels que l’occupation des sols, la toxicité, les radiations ionisantes…

Dans une perspective systémique et cycle de vie, la consommation d’électricité ne sera jamais exprimée comme un indicateur de l’analyse du cycle de vie puisqu’elle ne permet d’exprimer qu’une consommation d’énergie finale provenant d’une seule source. Cet indicateur exclu donc toutes les autres sources d’énergie ainsi que toute notion d’efficacité

Cycle de vie

Enfin, un bilan environnemental – d’un ordinateur, d’un système d’information, ou d’un service numérique – n’a de sens qu’en considérant le cycle de vie complet des équipements : fabrication, utilisation, fin de vie.

Concernant l’énergie, cela permet de prendre en compte :

  • l’énergie grise ;
  • et l’énergie utilisée sur la phase d’utilisation.

L’énergie grise est l’énergie nécessaire à la fabrication des appareils, en opposition à l’électricité consommée sur la phase d’utilisation. L’énergie grise prend différentes formes : du gasoil du tractopelle qui extraie le minerai à l’électricité consommée dans les usines d’assemblage, en passant par des à hauts-fourneaux.

Dans les bilans  environnementaux, l’énergie grise est toujours exprimée en énergie primaire (MJ).

Pour obtenir un bilan complet, on y associe l’électricité consommée sur la phase d’utilisation, elle aussi exprimée en énergie primaire. On peut ainsi découvrir que la fabrication concentre l’essentiel du bilan énergétique d’un smartphone.

Au final, l’utilisation d’une quantité d’électricité pour témoigner d’impacts environnementaux est un bon indicateur… de la non pertinence de l’étude ou de l’article que vous lisez !

Source : GreenIT.fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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