Vidéo en ligne : quels impacts environnementaux ?
Depuis quelques jours, on voit ça et là des articles dans les médias qui annoncent des chiffres “faramineux” sur la consommation électrique de la vidéo en ligne. Je pense notamment à cet article des Echos largement diffusé et commenté sur les réseaux sociaux.
L’occasion de décrypter pour vous ces chiffres, souvent très exagérés, et de vous fournir des ordres de grandeur plus réalistes.
La consommation électrique n’est pas un indicateur environnemental
Rappelons avant de commencer que l’électricité n’est pas un indicateur environnemental et que les bilans environnementaux sérieux s’effectuent uniquement :
- en fonction d’une unité fonctionnelle clairement définie ;
- en considérant tous les composants du service numérique étudié ;
- en cycle de vie complet ;
- avec plusieurs indicateurs environnementaux pour éviter les transferts de pollution ;
- à défaut, si on ne s’intéresse qu’à l’énergie (étude mono-critère), le bilan s’effectue en énergie primaire et non en énergie finale (électricité).
Rappelons aussi que les impacts du numérique sont multiples et surtout caractérisés par :
- la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques (ressources naturelles non renouvelables) ;
- l’émission de gaz à effet de serre qui engendre un réchauffement global (atmosphère, océans, etc.) qui dérègle les climats locaux ;
- de nombreuses atteintes aux écosystèmes qui ont pour conséquence l’écroulement de la biodiversité telles que :
- eutrophisation des milieux aquatiques ;
- acidification de l’eau et des sols.
La consommation d’énergie primaire pour fabriquer de l’électricité, extraire les minerais du sol, les raffiner et les transformer en composants électroniques, etc. contribue aux impacts précités.
150 kWh d’électricité pour 1 heure de vidéo, vraiment ?
Ceci étant dit, l’article des Echos se focalise sur la consommation électrique associée au fait de « regarder une vidéo pendant 1 heure ». Il annonce une consommation électrique d’un réfrigérateur, soit environ 150 kWh par an en étant conservateur, et donc grosso-modo 450 kWh d’énergie primaire.
Ce chiffre n’a aucun sens pour les raisons suivantes :
- Le bilan doit être effectué en énergie primaire et non en électricité. Il est en effet impossible de réaliser un bilan en cycle de vie complet en électricité puisque la fabrication des équipements nécessite d’autres énergies telles que du gasoil, du charbon, etc.
- 150 kWh d’électricité correspondent à la consommation électrique de 5 ordinateurs portables allumés 8 heures par jour pendant 250 jours ouvrés, soit environ 2000 heures. On perçoit assez naturellement que la valeur mise en avant par les Echos semble totalement disproportionnée. Comment l’usage d’un smartphone pendant 1 heure pourrait-il avoir autant d’impact qu’un ordinateur portable (20 fois plus gros et lourd) pendant 2000 heures ? C’est absurde.
Plutôt 0,6 à 4,5 kWh d’énergie primaire
Pour en avoir le cœur net, nous avons réalisé trois Analyses de Cycle de Vie (ACV) de type screening sur l’unité fonctionnelle « regarder une vidéo en ligne pendant 1 heure ».
Chaque ACV correspond à l’un des trois scénarios suivants :
- Smartphone connecté en 4G téléchargeant 1 Go ;
- Ordinateur portable connecté en ADSL téléchargeant 3 Go ;
- Télévision HD + boîtier TV connecté via box fibre téléchargeant 5 Go.
Voici les résultats que nous obtenons pour chacun de ces scénarios :
Terminal | Smarphone | Laptop | TV |
Type de connexion | 4G | xDSL | Fibre |
Go transférés | 1 | 3 | 5 |
Bilan énergétique (kWh EP) | 0,63 | 0,45 | 4,52 |
Comme on le voit, le bilan varie d’un facteur 7 selon le scénario étudié.
Si on considère le scénario « laptop » comme scénario médian, alors on obtient un écart d’un facteur 1000 entre le chiffre annoncé dans l’article des Echos et la réalité !
Des sources d’impacts variables selon le scénario étudié
Le plus intéressant est de comprendre où se situent les impacts, pour pouvoir les réduire. Nous sommes partis sur un modèle classique dit 3-tiers qui décrit bien l’architecture technique de l’internet. Ce modèle montre que selon le type de terminal et de réseau, les impacts n’ont pas lieu au même endroit.
Smartphone | Laptop | TV | |
40% | 4% | 1% | réseau |
8% | 28% | 82% | terminal |
52% | 67% | 17% | serveur |
Pour un smartphone connecté en 4G, les impacts se répartissent à peu près à parts égales entre le réseau 4G et le centre informatique (nous avons considérés arbitrairement 100 utilisateurs concurrents par serveur rack 1U avec un PUE de 1,7).
Dans le cas d’un ordinateur portable en ADSL, le centre informatique est clairement la source prépondérante.
Mais dans le cas d’une TV connectée via une box fibre, c’est la télévision elle-même qui impacte le plus et notamment sa fabrication (énergie grise). Typiquement, lorsque vous regardez Netflix sur votre grand écran de salon, c’est essentiellement sa fabrication qui impacte.
La part du réseau DSL et fibre est négligeable dans les deux scénarios « filaire » ce qui montre l’intérêt de limiter son usage du Cloud (et à fortiori des flux multimédia) en 4G.
Conclusion
J’espère avoir contribué à vous
- donner des repères réalistes : de 0,5 à 4,5 kWh d’énergie primaire par heure de vidéo en ligne ;
- éclairer sur le fait que l’impact dépend de nombreux paramètres, notamment de la taille de l’écran, de la résolution de la vidéo, et du type de connexion.