Energie : le scénario catastrophe est en marche
Spécialisé dans le secteur de l’énergie, le cabinet Enerdata a présenté il y a quelques semaines ses prévisions sur la demande énergétique à l’horizon 2040. Un mois plus tôt, la firme pétrolière BP avait présenté des tendances similaires dans son BP Energy Outlook 2035 (PDF).
Bien que les pays du monde entier s’attèlent à découpler croissance économique et consommation d’énergie, les deux études s’accordent sur une croissance forte de la demande en énergie d’ici 2040, de l’ordre de +37 % à + 50 %. Cette forte croissance est principalement due à deux facteurs : la croissance de la population mondiale en dehors des pays de l’OCDE et l’adoption du mode de vie occidental par ces mêmes pays. Ce sont clairement les pays émergents (+94 %) – Chine et Inde en tête – qui tireront la demande mondiale.
Electricité et pétrole prédominent
Sans changement de cap radical, les énergies carbonées représenteront encore de 70 % à 80 % de l’énergie utilisée dans le monde en 2040. Seule bonne nouvelle, le gaz naturel (moins émissif que le charbon ou le pétrole) devrait atteindre 25 % à 30 % de part de marché.
Les énergies renouvelables continueront à se développer, mais pas assez vite pour compenser la hausse de la consommation, d’où un poids toujours prédominant des énergies fossiles. Selon Enerdata, leur développement devrait être assez contrasté avec la même proportion que le pétrole dans les pays de l’OCDE (derrière le gaz naturel) mais toujours minoritaire dans le reste du monde (notamment dans les pays émergents).
Selon BP, l’électricité représentera entre 42 et 47 % de l’énergie finale consommée contre 28 % en 1965. Les énergies renouvelables et l’hydraulique constitueront un peu plus de 25 % de la source primaire contre 65 % pour les énergie fossiles (par ordre décroissant : charbon, gaz, pétrole) et environ 10 % pour le nucléaire. Cette hausse de la demande en électricité confirme le poids croissant des équipements électriques et électroniques (EEE) dans la dépense énergétique des ménages.
Un marché de plus en plus tendu qui pousse à l’autosuffisance
A scénario constant, la forte demande mondiale se traduira par un renchérissement de l’énergie fossile autour de 150 dollars le baril en 2040. Sauf à ce que la pression fiscale liée à l’environnement baisse. Le prix du baril atteindrait alors plutôt 110 dollars.
Face à cette pression, tous les pays cherchent à redevenir autonomes. Les Etats-Unis pourraient y parvenir via les sources non conventionnelles : gaz de schistes, sables bitumineux, etc. Ce se ne sera en revanche pas le cas de la Chine qui devrait voir sa consommation multipliée par 5 d’ici 2040.
La hausse des émissions de gaz à effet de serre pourrait être évitée…
Selon BP et Enerdata, cette croissance de la consommation de la quantité d’énergies fossiles se traduira inévitablement par une importante hausse des émissions de gaz à effet de serre associées, de l’ordre de +25 % par rapport à 2013, selon BP. Les efforts de réduction des pays de l’OCDE seront complètement écrasés par le poids des plus gros consommateurs tels que la Chine et l’Inde.
Nous ne partageons pas cette analyse. Les deux études oublient un point clé : l’énergie grise (embodied energy en anglais). Si la Chine voit sa consommation énergétique multipliée par 5 d’ici à 2040 alors que les Etats-Unis atteignent l’autosuffisance, c’est essentiellement parce que la comptabilité énergétique des deux études est bancale. Notamment, elles ne réaffectent pas l’énergie grise à la source de la demande.
Au-delà du développement de la demande intérieure, c’est bien la fabrication des objets utilisés dans les pays de l’OCDE qui fait exploser la facture énergétique de la Chine et, dans une moindre mesure, la production de denrées alimentaires et de matières premières (Inde par exemple) utilisées et consommées dans d’autres zones du monde.
… à condition de remettre en cause le modèle économique des pays de l’OCDE
La réaffectation de l’énergie grise à la source de la demande – c’est-à-dire majoritairement dans les pays de l’OCDE – nous amènerait à un constat complètement différent : c’est bien la frénésie de consommation des pays développés (et bientôt des pays émergents) et la nature même des biens consommés qui tire la consommation mondiale d’énergie.
En d’autres termes, s’ils souhaitent réellement faire leur part, les pays de l’OCDE devront nécessairement proposer une alternative à leur modèle économique actuel reposant sur une croissance infinie tirée par une consommation individuelle de masse. Car, comme le montre l’étude de BP*, c’est bien ce modèle qui contribue le plus à la croissance de la consommation énergétique mondiale et des émissions de gaz à effet de serre associées. Une réflexion complémentaire doit également être engagée sur la nature de nos consommations, notamment afin d’identifier le TOP 50 des biens et denrées les plus impactant.
Malheureusement, ces deux réflexions ne sont pas à l’ordre du jour de la COP21…
* voir la part de l’industrie et son évolution dans le temps, slide page 12.
Source : http://www.enerdata.net/enerdatauk/press-and-publication/publications/2040-world-energy-forecast-publication.php et http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/energy-economics/energy-outlook.html