Catégorie : Logiciels

Le cloud computing n’est pas écologique

Il y a quelques semaines, Olivier publiait un article sur l’intérêt d’ouvrir les nuages informatiques (cloud computing) pour obtenir plus de transparence sur leurs émissions de gaz à effet de serre et pour les mesurer avec plus de précision.

Dans cet article, dont une partie a été publiée en novembre 2011 dans l’hebdomadaire 01 Business & Technologies, nous vous démontrons que le cloud computing n’est pas forcément moins émissif que le recours à un serveur en interne.

Le cloud computing permet-il de réduire l’empreinte carbone des systèmes d’information ? Et si oui, à quelle hauteur ? Google a relancé le débat il y a quelques mois en estimant que sa messagerie en ligne GMail émet 80 fois moins de CO2 par utilisateur qu’une messagerie interne. Sur la base de 100 messages échangés chaque jour, une PME de 50 personnes émettrait 4,7 grammes de CO2 par e-mail contre 0,06 gramme pour une messagerie hébergée dans le nuage de Google. De quoi vanter l’intérêt économique et écologique du cloud computing. Mais qu’en est-il vraiment ?

Pour obtenir ces résultats, Google estime qu’une PME de 50 personnes n’a pas d’autre choix que de
s’équiper du plus petit serveur disponible, capable de gérer 300 utilisateurs. La sous-utilisation du serveur hébergé en interne explique, selon Google, sa forte émissivité. A l’inverse, le modèle mutualiste du cloud computing permettrait d’utiliser uniquement la puissance informatique nécessaire aux 50 utilisateurs, et donc de réduire les coûts et l’empreinte carbone liée.

On peut évidemment critiquer ce premier postulat de Google. Une PME de 50 personnes peut très bien dédier un ancien poste de travail « musclé » ou un serveur vieillissant pour héberger sa messagerie. Nul besoin, dans les faits, de s’équiper d’un serveur ultra-moderne capable de gérer 300 utilisateurs. Dans la suite de cet article, et afin que notre démonstration soit parlante, nous nous appuierons cependant sur ce premier postulat erroné de Google.

Considérer l’ensemble du cycle de vie
Si ce raisonnement paraît logique sur le papier, il ne tient compte que de la partie serveur du scénario. Or, selon une récente étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), « la fabrication des serveurs et des postes de travail représente environ 40 % des émissions de CO2 sur le cycle de vie complet d’un e-mail. Et, sur la phase d’utilisation, les postes de travail représentent 40 % de la facture électrique » rappelle l’Ademe. Si bien que la consommation électrique des serveurs, seul critère pris en compte par Google (et plus généralement par les acteurs du cloud computing), ne représente plus, au final, que 36 % des émissions potentielles de CO2 sur le cycle de vie complet d’un courriel.

Selon mes calculs, quel que soit le scénario d’hébergement retenu, la fabrication du poste de travail accédant au nuage émet autant de CO2 que le fonctionnement de l’infrastructure de messagerie interne pendant 5 ans ou que GMail pendant 10 ans*. Au delà de l’électricité consommée lors de l’utilisation, l’empreinte carbone d’un nuage informatique dépend donc fortement de la durée de vie des terminaux qui y accèdent.

Tous les nuages ne sont pas égaux
Dans ces proportions, le lieu d’implantation du data center et la provenance de l’électricité sont capitales. En effet, la fabrication d’un kWh électrique émet 85 grammes d’équivalent CO2 en France, contre 700 grammes aux Etats-Unis et près de 1 kg en Chine. Si les serveurs du nuage sont situés aux Etats-Unis, le « poids carbone » du kWh américain compense en grande partie l’efficience énergétique du nuage informatique de Google. A moins que le nuage soit alimenté en énergie renouvelable, il n’est donc pas certain que les bénéfices écologiques soient au rendez-vous.

Plus green, mais à l’extrême
Pour réduire l’empreinte carbone d’un e-mail, il faut surtout utiliser le même client-léger, pendant longtemps. Le modèle du cloud computing contribue alors significativement à réduire l’empreinte carbone d’un service de messagerie, d’autant plus si les serveurs sont utilisés plus de 5 ans et s’ils sont alimentés en électricité provenant de sources primaires renouvelables (éolien, hydraulique, etc.).

Sans ces trois pré-requis, rien ne permet d’affirmer que le cloud computing réduit l’empreinte carbone d’un service informatique comme la messagerie. C’est toute la limite des communications “environnementales” des fournisseurs. Tant qu’ils omettront de préciser le périmètre, les usages étudiés, et les unités fonctionnelles retenues, nous ne pourrons pas avoir de certitude sur les avantages d’une solution par rapport à une autre, y compris pour le cloud computing.

* sur la base de 100 courriels échangés par jour ouvré

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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