Catégorie : Matériel

Déchets électroniques : l’omerta française !

Mon activité de conseil m’amène régulièrement à réaliser des audits pour évaluer l’empreinte environnementale de systèmes d’information ainsi que la performance et la maturité Green IT des entreprises. J’utilise environ 200 points de mesure allant de la durée de vie moyenne des postes de travail en passant par le nombre de pages imprimées par jour et par salarié, et la quantité de déchets électroniques produite chaque année par l’entreprise.

Parmi ces points de mesure, ce qu’il advient des équipements lorsqu’ils quittent l’entreprise est crucial. Par exemple, si un fournisseur reconditionne les ordinateurs et les revend ou les reloue pour une durée de vie identique, je peux quasiment diviser par deux l’empreinte de ces équipements dans le bilan global de mon client. La capacité des fournisseurs et prestataires à fournir des informations précises, fiables et quantifiées – donc à assurer une traçabilité sans faille – est donc indispensable.

Malheureusement, force est de constater que si on sait le faire pour une pomme ou un steak haché, c’est quasiment impossible pour un smartphone, un écran, un ordinateur portable, etc. Et ce malgré les obligations légales (directive européenne WEEE traduite en droit français et entrée en application en France il y a près de 10 ans et Waste Shipment Regulation mis à jour en 2014). Or, l’impact environnemental de la fin de vie des équipements électroniques est catastrophique : métaux lourds, retardateurs de flammes, PVC, etc.

Alors que la Commission Européenne estime qu’au moins 2 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) quittent chaque année illégalement l’Europe pour la Chine et l’Afrique (Illegal shipment of e-waste from the EU, 2015), les beaux discours environnementaux des fournisseurs sont pour la plupart du pur greenwashing.

Impossible de savoir où sont passés mes ordinateurs et mes téléphones
Lors d’un récent audit chez un client, j’ai demandé à plusieurs fournisseurs de m’indiquer des informations de base telles que le poids et/ou le nombre d’équipements repris ainsi que le type de traitement effectué – revente en l’état, reconditionnement, réutilisation de composants, recyclage matière, etc. – et par qui.

Parmi ces fournisseurs se trouvent :
– un fabricant d’ordinateurs comptant parmi les leaders mondiaux ;
– un fabricant d’imprimantes comptant parmi les leaders mondiaux ;
– et deux grands opérateurs téléphoniques français.

Tous ces acteurs affichent un engagement environnemental fort. Cependant, malgré mon insistance auprès des gestionnaires de compte, pas un seul d’entre eux n’a été capable de me donner un poids ou un nombre d’unités repris, le type de traitement et le prestataire de traitement, dans le cas précis de mon client. Bref, mon client n’a aucune idée de ce que sont devenus ses ordinateurs, écrans, et autres smartphones.

Seul l’un d’entre eux m’a mis en relation avec le broker à qui il revend ses équipements après les avoir loué. Ce dernier m’a promis des informations que j’attends toujours et qu’il ne fournira jamais. Quel broker est-il assez fou pour avouer qu’il exporte illégalement ces équipements en Chine et en Afrique (les poubelles à déchets électroniques de l’occident) ?

L’environnement est une contrainte, pas un atout commercial
Comme il s’agissait de location, ces fournisseurs ne sont pas tenus de fournir ces informations, mais ils doivent impérativement les connaître dans le cadre de leur responsabilité environnementale. Les transmettre à mon client aurait permis de valoriser et de concrétiser leur discours environnemental.

J’ai donc ouvert d’autres portes que les officielles (relation presse, éco-organisme, partenaires reconditionneurs, etc.), en parallèle et dans un esprit constructif. Après tout, les gestionnaires de compte n’étaient peut être pas les bons interlocuteurs sur ce sujet. Et le service presse de ces entreprises aurait certainement intérêt à démontrer leur exemplarité au travers de ce cas concret… Résultat ? Que dalle ! Zéro réponse. Enfin si : la même soupe verte indigeste « corporate » que ces grandes entreprises nous servent à longueur d’année à coups de millions d’euros de communication…

Un risque d’image inacceptable
C’est un terrible constat pour l’environnement. Mais aussi une prise de risque inacceptable pour les entreprises utilisatrices. Qu’adviendra-t-il de leur image de marque si on retrouve leurs écrans et autres ordinateurs avec le logo de — écrivez ici le nom de votre entreprise —dans une de ces décharges africaines ou chinoises où le « recyclage » est assuré par des gamins de 10 ans dont l’espérance de vie n’atteint pas la trentaine ?

Bref, un conseil, lorsque vous contractualisez avec un fournisseur :
– demandez lui de vous apporter des preuves de la bonne gestion de sa filière DEEE (et pas juste une plaquette marketing) ;
– engagez le contractuellement sur la traçabilité des équipements qui quittent votre entreprise ;
– et prévoyez de lourdes pénalités s’il est incapable de vous fournir ces informations de base.

Ou mieux : contractualisez avec un éco-organisme certifié.

Votre avis nous intéresse : partagez-vous notre constat ? Avez-vous, vous aussi, des difficultés pour savoir ce que deviennent les équipements informatiques et télécoms lorsqu’ils quittent votre entreprise ?

Source : GreenIT.fr

Illustration : © Shutterstock

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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