Catégorie : Energie

Transition énergétique : et si on se trompait de question ?

Alors que le débat sur la transition énergétique – qui inclut ceux sur le nucléaire et les énergies renouvelables – est fortement médiatisé, trois concepts – négawatt, énergie grise et exergie – sont absents des discussions.

Ils sont pourtant indispensables pour trouver des solutions durables à la crise énergétique actuelle. Je vous les présente donc rapidement pour éclairer votre compréhension des débats publics en cours, et malheureusement prendre conscience que nous ne nous posons pas les bonnes questions.

Négawatt
Le concept de négawatt est simple mais puissant. Partant du constant que l’on dépense moins d’énergie à économiser l’énergie plutôt qu’à la produire, un négawatt quantifie une puissance « en moins », c’est-à-dire la puissance économisée grâce à un changement de technologie ou de comportement. Cette notion est due à Amory Lovins, fondateur du Rocky Mountain Institute, l’un des auteurs du fameux livre « Facteur 4 ». En France, l’association Négawatt porte ce concept.

La notion de négawatt est essentielle car elle met en lumière le rôle clé de la sobriété et des économies d’énergie dans le débat sur la transition énergétique. Plutôt que de chercher en priorité des sources d’énergie de substitution, nous devons surtout réduire notre consommation à la source, en adaptant nos comportements et en faisant évoluer nos technologies. Or, depuis 10 ans, le débat porte surtout sur les énergies de substitution et moins sur la réduction à la source. Un exemple simple pour illustrer mon propos : travailler sur les négawatts revient à développer le covoiturage en priorité par rapport à la voiture électrique (qui n’est qu’une substitution de source d’énergie). Or, la leçon des agro-carburants n’ayant pas suffit, très peu est fait pour le covoiturage, nos politiques préférant engloutir des milliards d’euros dans une solution technologique – la voiture tout électrique – qui est pour l’instant un échec.

Exergie et anergie
La transformation d’une énergie induit une dégradation de la quantité d’énergie utilisable sous une forme donnée. L’exergie quantifie cette dégradation en mesurant le travail maximal récupérable, c’est-à-dire l’énergie « utile », sous une forme donnée, contenue dans 1 joule d’énergie primaire. Le point clé : l’exergie mesure le potentiel de fonctionnement d’un système dans le milieu ambiant. En d’autres termes, l’exergie permet de tenir compte de scénarios ambiants précis alors que l’énergie considère que l’environnement n’a aucun impact.

Prenons un exemple simple. Admettons que je dispose de 10 kWh d’énergie électrique. Si j’éclaire une pièce avec une ampoule à incandescence en hiver ou en été, l’énergie « utile » ne sera pas la même selon la température extérieure. La transformation des électrons en photons (lumière) s’accompagne d’une dissipation thermique. En été, cette dissipation thermique est « inutile ». En revanche, en hiver, la dissipation thermique est « utile » puisque c’est autant de chaleur qu’une autre source n’aura pas à fournir. Cet exemple montre que les ampoules basses consommation ne font faire des économies d’énergie que durant les mois où les habitations ne sont pas chauffées. D’autant que l’énergie dépensée pour fabriquer l’ampoule basse consommation est plus importante. Le concept d’exergie permet donc de moduler une analyse énergétique en fonction de l’environnement : pour réaliser des économies d’énergie, les ampoules fluocompact sont intéressantes dans les pays chauds, mais pas dans les pays froid.

Le concept d’exergie est d’autant plus intéressant que les ressources énergétiques disponibles sont très différentes dans leur forme : combustibles, rayonnements, énergie éolienne, chaleur… Cette diversité des ressources, mais aussi des processus de transformation énergétique, a conduit au développement de diverses métriques spécifiques pour la caractérisation de la ressource énergétique. Ces métriques sont difficilement comparables entre elles : PCI et PCS pour les combustibles, pouvoir méthanogène, pression osmotique… En prenant en compte la « qualité » de l’énergie, l’analyse exergétique permet de comparer des formes d’énergie différentes de façon pertinente.

Entropie :degré de désordre d’un système
Energie : capacité à produire un travail ou son équivalent
Exergie : travail maximal récupérable, c’est-à-dire l’énergie « utile »

Energie grise
Dernier concept clé, l’énergie grise comptabilise toute l’énergie dépensée sur un cycle de vie complet d’un service ou d’un produit : fabrication, commercialisation, utilisation et fin de vie. Ce concept est important car, dans 95 % des cas, les réflexions portent uniquement sur la phase d’utilisation. Or, dans de nombreux secteurs d’activité, et notamment dans l’informatique, il y a souvent plus d’énergie dépensée en dehors de la phase d’utilisation. Et le facteur d’émissions de gaz à effet de serre est bien plus important lors de la fabrication en Chine que lors de l’utilisation en France. Si bien que ne pas prendre en compte l’énergie grise revient à passer à côté du problème. On fait bien des économies d’énergie en partie pour limiter le réchauffement climatique, non ?

Prenons un exemple : la fabrication d’un iPhone 5 en Chine émet 57 kg de gaz à effet de serre (environ 50 kWh d’énergie) alors que son utilisation en France émet tout au plus quelques kg par an (moins de 15 kWh par an). Débrancher le chargeur c’est bien. Mais le geste le plus efficace pour faire des économies d’énergie est clairement d’utiliser le plus longtemps possible son smartphone avant d’en racheter un. Le raisonnement est le même pour tout les objets de la vie courante : maison, voiture, réfrigérateur, etc. D’autant qu’au-delà de l’énergie, le renouvellement compulsif des biens de consommation se traduit par des pollutions, épuisement des ressources non renouvelables, etc.

A lire aussi sur ce sujet:
– un article un peu expérimental, mais qui me semble important : Le facteur 8 ;
– l’exergie présentée sur France Culture.

Merci à Philippe Derouette pour le lien vers l’émission de France Culture.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Exergie, http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-faut-il-passer-de-l-energie-a-l-exergie-2013-07-05, http://www.u-paris10.fr/actualites/colloque-international-l-exergie-de-l-energie-a-l-ecologie-un-outil-d-analyse-et-de-decision-pour-un-developpement-durable-366732.kjsp, http://www.thermodynamique.com/spip.php?article19, http://www.negawatt.org/constats-et-enjeux-energetiques-actuels-pb12.html, http://www.enea-consulting.com/wp-content/plugins/download-monitor/download.php?id=77

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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