Catégorie : Etude

Numérique au bureau : jusqu’à 60 % de notre budget annuel soutenable

Exclusif. Le collectif Green IT publie les résultats de sa 9ème campagne de mesure de la sobriété numérique au bureau. Cette étude, le Benchmark Green IT 2024, évalue les efforts qu’il reste à faire pour aboutir à une activité numérique soutenable.

Unique en Europe, le Benchmark Green IT aide les entreprises privées et publiques et les collectivités territoriales à évaluer quantitativement et qualitativement leur niveau de sobriété numérique. Elle repose sur la quantification des impacts environnementaux des systèmes d’informations des organisations participantes et identifie des solutions pour les rendre plus sobres.

Cette étude est pilotée par le collectif Green IT  dans le cadre du Club Green IT avec la collaboration d’Agile Partner, Danu Green, Espelia, Resilio, Wemanity et Zeb & Web.

La première et seule étude reposant sur des standards

Cette étude repose sur l’analyse des systèmes d’information de 30 organisations totalisant 154 537 utilisateurs, 12 398 collaborateurs et collaboratrices de la DSI et environ 756 000 équipements. Les organisations agissent dans des secteurs variés : organisations publiques, banques et assurances, retail et luxe, industrie, etc. Elles sont situées en France, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg.

L’évaluation des impacts environnementaux repose sur les standards internationaux d’Analyse du Cycle de Vie (ISO 14040 et ISO 14044) recommandés par la Commission européenne dans le cadre de la méthodologie Product Environmental Footprint (PEF) et précisés par l’Ademe en France. Conformément à ces standards et recommandations de la Commission Européenne et de l’Etat français, 16 impacts environnementaux et sanitaires sont étudiés, allant de l’épuisement des ressources à l’écotoxicité pour les milieux aquatiques en passant par le changement climatique.

Pour cette 9ème édition (2024), le Benchmark Green IT a permis à l’Ademe de valider in situ le RCP “Système d’information” (SI) qui précise le dispositif PEF. Le RCP SI est la méthode officielle en France pour évaluer les impacts environnementaux du numérique au sein d’une organisation. Le Benchmark Green IT est la première et seule étude dans le monde à respecter ces standards.

L’évaluation de la maturité repose sur la 3ème édition du Référentiel Green IT (RGIT) mis au point par le collectif Green IT dans le cadre du Club Green IT. Ce référentiel est déployé dans des centaines d’organisations privées et publiques depuis plus de 10 ans. Il a été mis au point par les experts du collectif Green IT et les responsables Green IT des grandes organisations privées et publiques.

Enfin, la comparaison des résultats des participants permet d’établir une échelle et de les positionner les uns par rapport aux autres dans une logique de benchmark. La moyenne des participants est ensuite rapportée aux limites planétaires pour évaluer la part du numérique dans le budget annuel soutenable d’un européen.

Le numérique contribue principalement à 5 crises sur 16

En 2024, le numérique au bureau contribue principalement à 5 crises environnementales et sanitaires qui représentent plus de 80 % des impacts :

Contribution du numérique aux différentes crises environnementales et sanitaires. Répartition selon la méthode PBCI.

Ces impacts associés aux usages numériques d’un utilisateur pendant 1 an dans un cadre professionnel sont conséquents :

  • Epuisement des ressources “matières” (ADPe) : 19,1 g équivalent antimoine (SB), soit 92 tonnes de terre excavée ;
  • Epuisement des ressources fossiles (ADPf) : 19 500 mégajoule (MJ) d’énergie primaire (EP) ;
  • Radiations ionisantes : 818 kBq équivalent U235, soit 20 450 radiographies des poumons ;
  • Réchauffement global : 431 kg équivalent CO2, soit 2500 km en voiture thermique ;
  • Ecotoxicité pour l’eau douce (Ecotox) : 6246 CTUe (comparative toxic units) ;
  • Particules fines (PM) : 0,000017 occurrence des maladies liées ;
  • Utilisation de l’eau douce : 356 m3, soit 5 940 douches.

A l’échelle d’une journée au bureau (220 jours par an) cela correspond, chaque jour et par personne, à :

  • Epuisement des ressources “matières” : 382 kg de terre excavée (5 à 6 fois votre poids) par jour ;
  • Epuisement des ressources “fossiles” : 1 radiateur électrique de 1000 Watts pendant 8 heures ;
  • Radiations ionisantes : 92 radiographies des poumons ;
  • Réchauffement global : 2 kg équivalent CO2, soit 11 kilomètres en voiture thermique par jour ;
  • Ecotoxicité pour l’eau douce (CTUe) : na
  • Particules fines (PM) : na
  • Utilisation de l’eau douce : 1620 litres d’eau par jour, soit 27 douches (60 litres) par jour.

23 à 60 % du budget soutenable grignoté par le numérique au bureau

Pour prendre la mesure de ce que ces chiffres signifient par rapport aux enjeux environnementaux, il faut les rapporter aux limites planétaires, c’est à dire aux quantités d’impacts environnementaux que chaque français peut « dépenser » pendant un an, sans déstabiliser les équilibres fondamentaux de la planète.

On se rend alors compte que nos usages numériques au bureau représente (en % du budget annuel soutenable d’un européen) :

  • Epuisement des ressources abiotiques “matière” : 60 %
  • Epuisement des ressources abiotiques fossiles : 59 %
  • Réchauffement global > changement climatique : 44 %
  • Ecotoxicité de l’eau douce : 33 %
  • Particules fines : 23 %
Contribution du numérique à l'atteinte des limites planétaires. représentation par indicateur.

Quatre sources principales d’impacts

Pour la première fois depuis 10 ans, les centres informatiques sont la principale source d’impacts (28%), juste devant l’environnement de travail des utilisateurs (ordinateur, écrans, etc.) et la DSI (déplacements des informaticiens et m2 de bureau allouées) exæquo à 22%. Les réseaux arrivent en 4ème position en concentrant 18 % des impacts.

Une meilleure prise en compte de la localisation des serveurs “cloud” dans cette édition et quelques participants basés au Luxembourg et en Belgique augmentent certains indicateurs liés à la production de l’électricité qui, en Asie, au Luxembourg et aux Etats-Unis, engendre plus d’impacts environnementaux qu’en France. Cela explique en partie que les centres informatiques ressortent aussi fort dans cette 9ème édition de l’étude.

D’autres facteurs sont aussi importants à considérer comme l’allongement continue de la durée de vie des équipements utilisateurs (ordinateurs, écrans, etc.) ce qui diminue proportionnellement la part de l’environnement de travail des utilisateurs par rapport aux centres informatiques. Enfin, depuis plusieurs années, le nombre de serveurs par utilisateur augmente de façon continue car de plus en plus de traitements sont dématérialisés sous la forme d’applications SaaS (Software as a Service) plutôt que de logiciels installés directement sur les ordinateurs des salariés.

Plus d’impacts lors de l’utilisation que lors de la fabrication

Deux étapes du cycle de vie contribuent majoritairement aux impacts : la fabrication des équipements et leur utilisation (notamment la production de l’électricité consommée par le système d’information). 

Sauf pour l’épuisement des ressources abiotiques (métaux et minéraux et ressources fossiles) qui est prédominant lors de la fabrication des équipements, pour la plupart des autres indicateurs d’impacts observés dans le cadre du Benchmark Green IT 2024, la phase d’utilisation est désormais majoritaire.

Cette évolution est surtout due :

  • à l’allongement de la durée de vie des terminaux (ordinateurs, écrans, etc.) ;
  • au périmètre de l’étude avec des participants basés aux Luxembourg et en Belgique (la production d’électricité a plus d’impacts dans ces pays qu’en France) ;
  • à une meilleure prise en compte du cloud basé en Asie et aux USA (idem).

Dans un contexte professionnel où l’on passe 8 heures par jour devant un écran, il est logique que la phase d’utilisation soit prédominante. Cela ne contredit pas les études portant sur les usages grand public du numérique dans lesquelles la phase de fabrication est prédominante. En effet, heureusement, nous ne passons pas 8h supplémentaires par jour devant l’écran de notre ordinateur personnel à la maison (en plus des 8h au bureau) !

Pour être soutenable, diviser par 4 à 10 le poids du système d’information

« Selon l’indicateur observé, les entreprises privées et publiques doivent diviser par un facteur 4 à 10 les impacts de leur système d’information pour que leur activité soit soutenable » met en perspective Frédéric Bordage, co-auteur de l’étude au sein du collectif Green IT.

Ces objectifs de réduction sont atteignables à moyen terme dès lors que les entreprises déploient une démarche proactive de réduction. « Il est par exemple assez facile de doubler la durée de vie des postes de travail en systématisant leur réemploi. Si, en parallèle, on évite de multiplier les écrans externes LED / OLED et que l’on allonge leur durée de vie, on divise par 4 les impacts par rapport à une entreprise qui n’agit pas » complète Anne Rabot, autrice principale du rapport et Responsable des études chez Resilio, un membre du collectif Green IT.

Trois axes d’amélioration notables

En croisant ces informations, on peut identifier des pistes d’actions prioritaires pour les principaux domaines concernés :

  • La fabrication des équipements des utilisateurs contribue majoritairement à l’épuisement des ressources abiotiques. Il faut donc continuer à réduire le taux d’équipement et allonger leur durée de vie ;
  • La consommation d’électricité de l’infrastructure (centres informatiques, cloud et réseaux) représente 81 % de la dépense énergétique globale (en énergie primaire). Elle induit des impacts tels que les radiations ionisantes, l’épuisement des ressources fossiles et l’émission de particules fines (surtout en dehors de la France). Il faut donc réduire la consommation électrique de l’infrastructure (et donc écoconcevoir les services numériques pour utiliser moins de serveurs et de réseaux) ;
  • La téléphonie et les impressions sont des domaines à faible impacts environnementaux (comparé aux autres domaines). Mais il est facile d’agir, par exemple en améliorant la qualité du papier consommé (recyclé FSC et / ou Blue Angel).

Au final, la compilation de tous les plans d’actions individuels des organisations qui ont participé à cette 9ème édition du Benchmark Green IT fait ressortir 4 actions prioritaires :

  1. Réduire le taux d’équipement par utilisateur et notamment éviter le 2ème écran, surtout s’il est de technologie LED/OLED ;
  2. Allonger la durée de vie de tous les équipements (sans oublier l’infrastructure) en systématisant le réemploi plutôt que le recyclage des équipements fonctionnels ;
  3. Réduire les kilomètres des collaborateurs DSI et prestataires en favorisant le télétravail et mettant en place un Plan de Mobilité (PDM) ;
  4. Ecoconcevoir les services numériques pour réduire les impacts associés à l’utilisation en réduisant le nombre de serveurs et la quantité de “réseaux” nécessaires.

Rapport détaillé du Benchmark Green IT 2024

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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